⊰ printemps 2023

Un loup blanc. Une créature splendide, magnifique. Un animal qui a su susciter toute l’attention du sorcier et surtout, celle du magizoologiste qui dort en lui. Des loups-garous, Christian en a déjà croisés, tout au long de sa vie. C’est ce qui l’a toujours passionné d’ailleurs, de pouvoir rencontrer des espèces différentes de la sienne afin de les comprendre, les côtoyer et mieux les appréhender. L’étude des animaux fantastiques et des créatures magiques a toujours occupé une place énorme dans la vie du sorcier. Lorsqu’il était à Sainte Magouste, il s’intéressait déjà aux blessures qu’elles pouvaient causer, puis finalement, il s’est penché sur l’aspect un peu plus social de la chose. Durant son enfance, mais aussi durant son adolescence, Christian a eu la chance de rencontrer des personnes aux dons exceptionnels. Oui, des dons. Des particularités, comme d’autres diraient. Christian n’a jamais vu cela comme des malédictions, il n’a d’ailleurs, jamais compris la haine que certains loups-garous peuvent susciter, ou même le mépris que l’on a pour les demi-vélanes. Parmi ces sorciers aux qualités singulières, figure Zénobia. Une femme avec laquelle Christian a partagé les couloirs de Poudlard, ainsi que plusieurs nuits. A de multiples de reprises … Ayant grandi aux côtés de la jeune louve, Christian a pu, tout au long de sa vie, récolter de précieuses connaissances sur le fonctionnement d’une meute, ou sur la biologie d’un loup. C’est d’ailleurs la raison qui le pousse à retourner vers son amante, parce que personne ne connaît les loups mieux qu’elle. Et personne ne la connaît, mieux que lui.

Christian n’a pas besoin de chercher son interlocutrice très longtemps. Car même si les Moon savent s’imposer devant les autres familles au sang pur, leur domaine n’a jamais eu aucun secret pour lui. En tant que directeur du contrôle et de la régulation des créatures magiques, Christian a souvent été amené à rencontrer les représentantes de la meute. Ce ne sera donc pas une réelle surprise, s’il se présente aujourd’hui, pour rencontrer Zénobia et lui exposer ses interrogations. Sans une once d’appréhension et sans aucun sourire, Christian se présente devant la porte du grand château qui trône au milieu de la forêt de Brocéliande. Un lieu somptueux, magnifique, que le sorcier au sang pur leur a toujours envié. Contrairement aux rendez-vous qui sont organisés au Ministère, Christian se présente cette fois-ci, sans s'être annoncé. Une pratique qui ne lui ressemble pas, certes, mais qu'il ne manquera pas de justifier. Zénobia n’attend donc pas sa venue mais il espère tout de même qu’il pourra la trouver chez elle. Lorsqu’une domestique se présente à lui, Christian incline poliment la tête. Il se redresse très rapidement, l’expression toujours sérieuse avant de prononcer, d’une voix ferme :

- Bonjour. Je voudrais voir Zenobia Moon, s'il vous plaît.

La domestique a un temps de réflexion. Elle est un peu surprise et marmonne, un peu malgré elle :

- Madame Moon n’attend aucune visite aujourd’hui.

Christian lui, relève un sourcil et affiche un petit rictus satisfait avant de reprendre :

- Cela n’a jamais été un problème. Et ça n’en sera pas un aujourd’hui.

Il ne faudrait désormais que peu de temps à la matriarche pour remonter les pistes sur l'identité de l'empoisonneuse s'en étant prise à Ivanna Farkas. Il demeurait toujours invraisemblable à la louve que quiconque puisse estimer qu'il était sage de trahir les siennes pour les plans de cette sorcière de Vivien, mais rien ne lui laissait songer autrement. Une Moon avait trahit les autres louves, probablement dans le but de déclencher un conflit entre leurs familles, et tout ça en s'en prenant à une femme en exile en profitant de son faible état et de l'absence de sa famille... Zénobia prenait soin des femmes de son clan, mais elle savait aussi sévir, et une telle trahison, une telle potentielle mise en danger d'une amie à qui elle avait offert l'exile, et de toutes les personnes portant leur sang sacré, ne pouvait qu'aboutir à une sanction des plus expéditives. Il n'y avait que rarement à en venir à de telles extrémités, et en trente ans à diriger d'une main de fer les siennes en compagnie d'Anésidora et Carmélia, elle pouvait encore compter sur ses doigts les fois où il avait été nécessaire d'en venir à ce qu'elle songeait à nouveau à faire. Exécuter l'une des siennes, se débarrasser de la traîtresse... Ce n'était pas un choix à faire avec gaieté de cœur, mais une leader ne pouvait laisser vivre une personne s'étant engagée pour trahir et mettre en danger la vie de toutes ses sœurs, pas lui laisser l'opportunité de nuire à nouveau d'une quelconque manière... Une fois qu'elle aura mis la main sur la responsable des empoisonnements, celle-ci périra.
Contemplant son domaine depuis la fenêtre de son bureau, elle fut tirée de ses pensées par le bruit léger de quelques coups contre la porte close de la pièce. Arquant un sourcil, jamais plus que ça heureuse de se voir dérangée aux heures de paix conférées par l'habituel tri hebdomadaire de la paperasse, les comptes rendus de la semaine, et les quelques missives propres à son statut d'une des trois dirigeantes de son clan, elle se dirigea d'elle-même vers la porte pour ouvrir. Lorsque face à elle se présenta une jeune femme qui n'avait guère qu'un rôle de domestique au sein de leur famille, elle se contenta d'un glacial silence, ses regards allant de haut en bas, comme pour la diminuer. Que faisait elle ici devant sa porte ? "C'est Monsieur Staghart, il... Il est à l'entrée. Il m'a demandé de vous avertir. Je lui ai dit que vous n'attendiez personne aujourd'hui mais-" avait commencé la servante, arrêtée nette par un signe de main de l'Alpha. Staghart ? Christian Staghart ? Qu'est ce qui donc pouvait amener un si vieil ami sur ses terres ? Et pourquoi de manière aussi soudaine ? Cela ne pouvait qu'être lui, elle le savait, elle le sentait. Nul autre ne pourrait s'inviter ainsi à Brocéliande sans craindre son courroux.
"Christian Staghart est un bon ami de notre clan, il s'est toujours positionné entre notre faveur au sein du Ministère, il peut ainsi venir comme bon lui semble. S'il vous plaît, retenez ceci pour les prochaines fois, il est une exception," avança t-elle sur un ton bien plus doux et mesuré qu'à l'accoutumé. Être dérangée l'irritait, mais elle n'avait qu'affection pour un homme avec qui elle avait grandit, qui avait été un bon ami sans failles pendant tant d'années, et qui de plus avait été un amant, et le seul homme qu'elle ait véritablement aimé. Même si les sentiments s'étaient effilochés avec le temps après avoir donné plusieurs fruits à leur passion, elle n'en était jamais venue à lui réserver ce mépris particulier qu'elle avait pour d'autres. Il serait toujours un peu spécial, probablement, une part de sa vie, quelqu'un à qui elle tenait avec sincérité, et pour qui elle avait une appréciation qui pouvait cette fois se targuer de ne pas être une collection de faux-semblants.
Sortant donc de son bureau, ses pas la menèrent vers l'entrée principale, où l'invité se tenait. Fut un temps, un tel profil lui aurait fait beaucoup d'effet, elle aurait simplement laissé son âme aller à la contemplation de ces yeux clairs, ces traits carrés et ces cheveux grisonnants qui faisaient partie de la noble apparence d'un homme de pouvoir qui quelques part était désormais une de ses plus vieilles connaissances non-familiales. Les années étudiantes remontaient loin, celles où elle avait été son amante aussi désormais... Mais il lui semblait que même s'il n'était nullement un Moon, elle pourrait autant s'impliquer pour lui que pour les siennes. "Bonjour Christian," le salua t-elle, sur un ton qui était loin de sonner jovial, mais certainement avec plus de notes douces que celui qu'elle usait pour parler au commun des mortels. Il semblait en bonne santé, et de plutôt bonne humeur... Il ne s'était donc probablement pas passé quelque chose de grave, autrement il n'aurait pas eu ce genre d'expressions... Alors qu'est ce qui pouvait l'amener ici ? Etait-ce qu'il se trouvait un brin porté par l'émotion, et venait juste rendre une visite amicale ? Zénobia se doutait bien que ce n'était pas le cas.
"Puis-je vous offrir un verre de vin ou un café ? J'imagine que vous n'êtes pas venu ici par hasard, et ce serait bien malpoli de ma part de ne rien vous proposer." Il y avait plusieurs théories quant à la venue du sorcier se dessinant dans l'esprit de la louve. En tant que directeur du département de contrôle des créatures magiques, il pouvait bien avoir besoin de son avis ou d'un renseignement, ou alors peut-être était-ce en rapport avec les dragons norvégiens des Johanssen, ou d'une quelconque autre curieuse trouvaille... Mais la désagréable image d'un certain sorcier de sang-mêlé qu'elle avait vu rôder, traînant sa carcasse misérable, lui vint en tête. Non, ce pathétique animal ne serait pas revenu vers... Et puis, il ne lui raconterait pas ça.

Le dos droit, le menton parfaitement relevé, les mains glissées derrière son dos, Christian patiente sagement devant les grandes portes du château avant d’apercevoir la silhouette de son hôte. Zénobia est magnifique. Comme elle l’a toujours été. D’une démarche audacieuse, elle vient à sa rencontre, le sourire absent et darde son regard acéré dans le sien. Un rictus satisfait s’étire sur les lèvres du sorcier qui disparaît l’instant d’après. Zénobia a toujours eu quelque chose d’envoûtant, une aura à la fois imposante et familière qui l’a toujours beaucoup intrigué. Christian a toujours eu beaucoup de respect et d’admiration pour elle. Pour son clan, pour sa nature, pour ses convictions. Deux fruits de la mondanité sorcière, Christian s’est toujours beaucoup retrouvé en elle et contrairement à de nombreuses femmes qui ont longtemps couru après le prestige de sa famille, Zénobia elle a toujours su se distinguer. Unique. Il n’y a probablement aucun autre mot pour la définir. C’est la raison qui l’a poussé vers elle il y a plus de vingt ans, la raison qui l’a poussé à revenir, à maintes reprises sur ses terres, dans ce château, mieux encore, dans cette chambre qu’il pourrait aisément retrouver dans ce labyrinthe de couloirs. Le souvenir de ces douces soirées réchauffent le ventre du sorcier qui ne prononce pas un mot. Les iris toujours agrippées aux siennes, il se délecte des sublimes traits de son hôte, s’avançant simplement lorsqu’on le lui permet. Machinalement, sa tête s’incline légèrement vers le bas, en guise de salutations :

- Bonjour Zénobia.

Il pourrait ajouter combien il la trouve radieuse aujourd’hui. Préciser que cette visite lui fait beaucoup plus de bien qu’il ne voudrait l’admettre et que revenir ici, après des années, ravive dans son esprit des souvenirs qu’il chérit encore aujourd'hui. Mais non, il ne dit rien. Car prononcer de tels propos reviendrait à lui accorder trop d’importance et Christian ne souhaite pas que son hôte soit consciente de la place qu’elle occupe dans l’esprit du Staghart. Car oui, Zénobia fait partie de son passé, Zénobia a gravé son passage sur une partie de son âme et pour cela, elle fera probablement toujours partie des personnes qu’il aimera et qu’il chérira, à sa façon, tout au long de sa vie. A la question qu’elle soulève, Christian se redresse. Il affiche un sourire cordial et s’avance de quelques pas :

- Je ne dirai pas non à un verre de vin. Je vous remercie.

L’odeur familière de son hôte attire discrètement son attention et les prunelles de Christian se perdent un instant sur les épaules de la jeune femme. Ses iris glissent le long de sa peau, une vision qui ravive de nombreux souvenirs dans l’esprit du sang pur et qui le pousse à détourner le menton pour échapper aux fantômes d’un passé qu’ils ont en commun. Il n’est pas venu pour cela. Non, ce qui l’amène ici, c’est le désir de trouver des réponses à ses questions, le désir aussi, d’éclaircir certains de ses souvenirs afin de remettre le doigt sur une prophétie qu’elle avait autrefois choisi de lui partager. Celle d’un loup blanc. Une prophétie à laquelle Christian n’avait pas réellement prêté attention, puisqu’il n’avait jusqu’alors jamais croisé de loup-garou blanc. Mais bien sûr, comme la plupart des registres du Ministère sont incomplets, il se doutait bien qu’un tel spécimen pourrait exister, sans que sa nature ne soit officiellement déclarée aux autorités. Mais aujourd’hui Christian sait qu'il existe, tout comme il sait pourquoi le garçon qu’il a maladroitement enlevé n’y figurait pas. Ce qu’il veut savoir à présent, c’est le lien qu’il peut avoir avec la meute Moon. Et surtout, s’il représente réellement une menace à leurs yeux.

Christian se laisse guider dans le manoir, les mains toujours rangées dans son dos. Il reste silencieux quelques minutes, hésitant sans le montrer, à aborder le sujet du loup blanc. Si elle n’a pas connaissance de son existence, Christian risque de coller une cible dans son dos. Et bien sûr, ce n’est pas là son intention. Mais en tant que lien entre les créatures magiques et le monde des sorciers, il se doit tout de même d’essayer :

- En effet, je ne suis pas venu ici par hasard, répète t-il doucement pour gagner du temps. A ce sujet, je suis navré de ne pas avoir annoncé ma visite, mais je me suis dit qu’il serait plus facile pour moi de trouver des réponses à mes questions si je venais directement vous voir.

Mais Zénobia n’est pas une femme que l’on fait attendre, ni même que l’on dérange impunément. Et ça, Christian le sait. Aussi, il choisit de ne pas la faire patienter davantage et choisit d’entrer directement dans le vif du sujet, bien conscient qu’il doit justifier d’une excellente raison pour avoir fait ainsi irruption sur ses terres, sans préavis :

- Je suis venu vous parler de cette prophétie que vous m’aviez contée autrefois. Celle qui concerne un garçon loup, blanc comme la neige.