⊰ printemps 2023

⊰ Avant d'arriver à Poudlard, quelle était ton université de magie ?
Il s’agit de l’Académie de Magie de Beauxbatons, dans les hauteurs des montagnes séparant la France d’avec l’Espagne.

⊰ T'aimes le style à l'anglaise ou c'était pas quelque chose de voulu ?
Je ne suis pas tellement attaché au mode de vie des anglais, ou du moins du peuple anglais. Bien sûr, je possède des connaissances dans les hautes sphères du monde qui ont depuis longtemps adoptés les us et coutumes de la bienséance à la française. Ça en est même rassurant. Pour autant, mes pas se sont perdus ici pour d’autres raisons, plus personnelles.

⊰ Tu peux nous parler de ton correspondant à Poudlard ?
Il s’agit d’Akira Sano, une jeune homme du même âge que le mien. Nous nous sommes croisés plus tôt dans nos vies sans nous voir. Aujourd’hui, nous correspondons par les mots, par nos réseaux. C’est un esprit vif, un visage charismatique et un être de contraste. Je le trouve fascinant…  

⊰ Connaissais-tu Poudlard avant d'avoir eu ta lettre d'admission ?
Qui encore ignore l’existence de l’école de sorcellerie de Grande-Bretagne ? Ce qui nous est secret, à nous Français, c’est l’emplacement exacte du château de Poudlard. Il court le bruit qu’il serait hanté ou qu’un serpent ignoble vivrait en ses entrailles. Ce sont des contes hérités des rivalités entre écoles de magie. Désormais, avec l’ouverture des échanges universitaires, les légendes laissent une place substantielle aux témoignages des étudiants et nous en savons davantage que nos ancêtres sur ce qu’il s’y passe réellement. Le Choixpeau, les Sombrals, la Forêt Interdite… Tout cela est fascinante et un tantinet folklorique.

⊰ Quelle a été ta première manifestation magique ?
C’est curieux que vous m’en parlez puisque cela m’est revenu en mémoire il n’y a guère longtemps. Je me rappelle qu’il faisait assez doux, certainement un mois printanier ou un automne agréable. La roseraie avait fleuri depuis quelques jours à peine dans un concerte de pétales rouges, blanches et bleues. Mère et Père avaient fait installer le piano du salon blanc dans les jardins pour le cours que me donnais Momma, l’amoureuse de Mère. A cet âge, environ 6 ou 7 ans, je jouais principalement la suite de Pierre, de Pierre et le Loup composé par Prokofiev. A mon plus grand étonnement, emporté par les sensations d’aventures, les roses se sont mis à produire les sons d’un orchestre, tantôt jouant du violon, tantôt sifflant comme des flûtes traversières. C’était un moment suspendu, un état de grâce.

⊰ Quel animal as-tu choisi pour t'accompagner ?
En prévision de mon voyage en Ecosse en décembre et ce pour les deux dernières années de ma scolarité, Mère m’a offert un Matagot femelle. C’est une créature docile, une sorte de gros chat (c'est bien dans le réglement non, les chats ?), intimement liée au Ministère des Affaires Magiques mais aussi à toutes les grandes familles françaises qui souhaitent protéger leur domaine des Rougarous et des Gnomes des Etangs ! Elle s’appelle Duchesse.

⊰ Où pouvons-nous le plus vous trouver lors de votre temps libre au château ?
J’ai pour commune habitude de m’adonner aux échecs au sein du club du Sphinx, ou parfois de me rendre au Journal pour écrire quelqu’articles sur les tendances venues du continent. Ce pays mérite vraiment qu’on l’éduque sur la gastronomie et la mode. Ce n’est bien entendu nullement une critique, mais plutôt un état de fait. On mange très mal ici et les uniformes sont véritablement affreux. Sinon, vous pouvez également me chercher dans la Tour d’Astronomie ou dans la Salle Commune de Serdaigle. J’ai une grande affinité avec le ciel et le vent. C’est de famille. Notons que notre devise est : le ciel est ouvert à ceux qui ont des ailes. N’est-ce pas charmant ?

⊰ Rentres-tu chez ta famille pour les vacances ou restes-tu au château ?
Vous parlez bien de ce château ? Figurez-vous que nous en avons également un, bien qu’un peu plus subtil et moins rustique. Nous pourrions faire affréter un carrosse volant – nous en avons cinq – ou faire activer un Portoloin par notre ambassade en Angleterre vers la Forêt d’Amboise, où vivent mes parents. La logistique n’est qu’une question de moyen et de relations, et ce n’est pas un problème si vous voyez ce que je veux dire. Pour autant, je préfère rester à l’université tout comme je restais à Beauxbat’. J’ai beaucoup de choses à découvrir sur vous, les Anglais, et retourner en France entamerait de manière inopportune la dynamique de mes explorations.

Année 2011 | 10 ans + On ne peut trop louer trois sortes de personnes : les Dieux, sa maîtresse et son roi.

Louis-Philippe du Lac aimait profondément ses enfants si bien qu’il souhaita pour leur avenir leur prodiguer confort et savoirs. C’est ainsi que pour son ainé – seul héritier mâle connu à ce jour – il fit aménager une pièce dédiée à l’étude des arts et des lettres. Non loin de la Grande Bibliothèque, pièce la plus ancienne du château, l’homme fit dresser des bancs d’écolier et un tableau d’ardoise. Il engagea un précepteur – pour quelques pièces d’or la journée – ainsi que des instructeurs : piano, danse, équitation se précipitaient au portail pour éduquer Anténor.

A l’époque dont nous parlons, le jeune héritier vivait en prince. Ses amis passaient les sélections des maisons les plus dignes de France et on lui interdisait tout rapprochement avec le genre des non-sorciers. Depuis la Révolution Française, les êtres doués de magie s’étaient volontairement retirés du monde commun, délaissant pour eux-mêmes les relations républicaines. Anténor le comprenait et, malgré moult tentations d’échapper à leur vigilance, ses parents lui dissipait amour et considération. C’était un enfant chéri, proche des jardins et des étangs, sensibles au chant du vent dans la forêt.

Point d’ombres au tableau de cette enfance douce, bien qu’il ne démontrât point de sensibilité pour les choses de la magie. Contrairement aux nobles de son âge, les préférences du petit Anténor se baladait entre l’histoire de la magie, les runes et les étoiles. Louis-Philippe et son épouse, Eléonor, n’eurent de cesse de le presser pour qu’il rattrape son retard sur la botanique ou les créatures, mais il n’en fit rien. Par paresse peut-être, ou par manque de talent sans doute, l’héritier ne prenait de plaisir qu’aux choses abstraites et élégantes, véritable rêveur tout droit sorti des contes de Saint Exupéry. C’est cela qui lui valu le surnom de « Prince » tant sa démarche était droite et son esprit volage.

Ainsi vécurent-ils heureux entourés avec sa sœur de toute l’attention du monde. Les regards de la société échappaient encore grâce à l’inconscience de leurs esprits de chérubins. Entourés de leur père, de leur mère et de leur deuxième mère - dont il me faudra produire plus tard le portrait et l’explication – les enfants du Lac devait être selon la vraisemblance des êtres sensibles et bienveillants. L’avenir allait un peu démentir cette voie prédestinée tant les humains demeurent toujours plus nuancé que l’étiquette qu’on leur donne…

Année 2017 | 18 ans + La vertu n’irait pas si loin si la vanité ne lui tenait compagnie.

Les jardins taillés dans le rock de la montagne s’étendaient devant le regard satisfait des professeurs de l’Académie de Beauxbatons. Il y avait de l’élégance dans les uniformes bleus des étudiants, de la fierté dans les anciens élèves qui ne rataient pour rien au monde le bal de Rentrée, et surtout, pour la première fois, de l’inquiétude parmi le personnel. Les petits plats s’entassaient dans les grands, et les domestiques s’empressaient de vérifier chaque détail des salles d’apparat. Pas d’elfes de maison dans l’université française depuis l’abolition de l’esclavage et le mécénat des Lumières.

La famille du Lac revenait parmi les bancs de l’école. C’était là de quoi inonder les cœurs de tourments. Beauxbatons cultivait son excellence grâce à ses mécènes, et il n’y avait point de plus grands donateurs de France ou de Navarre que la « dynastie de Viviane » - tout du moins dans le domaine culturel et artistique. Aussi, on comprenait pourquoi les sorcières et sorciers de Beauxbatons firent autant d’effort pour soigner les apparences. L’offre que représentait la visite des du Lac entrainait naturellement une forte audience. Cette année, l’Académie se faisait incontournable.

Anténor découvrit pour la première fois les feux de la rampe et la couverture médiatique. A 18 ans, il était déjà séduisant, grand et bien fait. Les nombreux efforts consentis durant sa tendre enfance avaient fleuri en un délicieux jeune homme, vêtu d’un uniforme sur-mesure, parfaitement ajusté. Ses manières étaient contrôlées, son sourire poli sans être ostentatoire tandis que ses mains accompagnaient ses paroles avec élégance, sans précipitation ni geste inutile. En vérité, il était si mal à l’aise que son esprit entamait un pilotage automatique mondain très ancré en lui. Il oublia vite les paroles et les flatteries de cette journée. Ce dont il se remémorait davantage, c’était la poignée de main de son père, puissante mais rassurante, et le baiser tendre de ses deux mères.

Voici le moment de cet aparté obligatoire dans l’histoire contemporaine de la famille du Lac. On savait dans la société aristocratique l’importance des mariages de raison et d’alliance. Celui de Louis-Philippe et d’Eléonor faisait partie de ceux-là. Pour autant, ces deux-là se connaissaient depuis les bancs de l’école et leur amitié était si profonde qu’ils trouvèrent un accord. Ils s’épousèrent, eurent deux enfants tout en vivant des histoires d’amour discrètes. Louis-Philippe se plaisait à butiner à la fois roses et choux, sans jamais s’engager, trop content d’assurer la plupart de son temps les affaires de sa dynastie. Eleonor, elle, demeurait plus exclusive. Depuis sa majorité, elle entretenait une relation avec Atheis de Montcristal, une femme de 2 ans son ainée, et sorcière talentueuse dans les domaines sportifs et botaniques. Officiellement, elle était dame de compagnie. Au quotidien, les enfants l’appelaient Momma et elle fut pour toute leur vie leur deuxième mère.

Année 2019 | 21 ans + Pourquoi pleurez-vous, m'avez-vous cru immortel ?

On évita de si près un double scandale qu’il fallut prendre des dispositions radicales. L’affaire devait être étouffée au plus vite. Avant de vous la détailler, et de mettre fin au suspense volontairement installé, il me faut vous préciser les changements dans la vie d’Anténor. A l’école, il découvrit un monde nouveau mais il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour l’apprivoiser. Tout était misérablement aisé à Beauxbatons. Si cela ne tenait qu’à son nom, Anténor du Lac commença à comprendre la définition même de la servitude volontaire des foules sous son regard d’azur et ses paroles précieuses.

Le jeune homme devint si sûr de sa propre valeur que la vanité lui monta à la gorge. Il fit de son amour de la nature, sa passion pour les lettres et sa sensibilité pour la musique son jardin plus que secret. L’être rêveur et sensible se cachait désormais sous les traits d’un ange arrogant et populaire. Autour de lui gravitait les rejetons des plus dignes familles et cette ségrégation lui faisait récolter plus de compliments que de blâme. Ses parents en étaient ravis, avec cette préscience que les alliances futures soient profitables pour leur rang quasi régnant.
Trop de confiance en soi nonobstant entraîne souvent l’exercice de vices. Anténor pris exemple sur les mœurs volatiles de son père et se servit davantage de son temps libre pour les plaisirs de la chair que pour les élévations du savoir. Lui qui avait vécu dan une tour d’ivoire défoulait désormais ses hormones parmi les gens les plus brillants de sa promotion et, bientôt, aussi du corps professoral. Ce n’était que l’objet d’une rencontre d’un soir, d’une faiblesse passagère de deux adultes devant les tentations de l’interdit, mais il y eu des rumeurs. Puis elles devinrent des murmures dans les couloirs, des regards suspicieux et bientôt on mit sur la table du journal de l’école une proposition d’article sur cette curieuse nouvelle.

Cela intervint non loin d’une tragédie pour la famille du Lac : les résultats scolaires d’Anténor n’étaient pas vraiment ce à quoi on pouvait s’attendre. La tête dans l’oreiller plutôt que dans ses livres, seuls ses talents pour les matières les moins prisées du grand publique le sauvaient de justesse de ses piètres résultats. Louis-Philippe était furieux, non contre son fils qu’il portait aux nues, mais contre cette école et la baisse notable de standing dont elle souffrait, manifestement. Il avait confié sa progéniture à la surveillance d’équipes visiblement incompétentes.

A grand renfort de pots-de-vin, ou plutôt d’investissements sur l’avenir, le dossier scolaire d’Anténor fut modifié en mieux, et on lui donna même la responsabilité du journal de l’école. Il se prit de passion pour les jeux de pouvoir et les mots d’esprits, pour les enjeux mondiaux et les cultures du monde. Le jeune homme, dit-on, s’étonna même de rêver à nouveau d’aventures au-delà de son microcosme de nantis. L’ordre logique des choses fut rétabli de la meilleure façon selon Louis-Philippe, c’est-à-dire par le haut. Le journal, maintenant conduit par le premier concerné, ne publia jamais l’histoire de batifolage sordide entre un étudiant populaire et son professeur de runes. Ainsi, furent étouffer les méprises de jeunesse du Prince de Beauxbatons…

Année 2021 | 23 ans + Vos ordres sont charmants votre façon de les donner est plus aimable encore.

Monsieur,

Ne voyez ni audace ni témérité dans la lettre que je vous envoie aujourd’hui. En vous confiant mes plus sombres secrets et l’expiation de mes vices quotidiens, je ne vous saurais gré de me trouver toujours trop prompt aux excès et à l’ingratitude de ma condition. Me voilà à n’en plu pouvoir cacher ce que je vous cache depuis si longtemps. Soyez bien assuré que pour me trouver exempt de regrets, je ne le suis pas de reproches ; et je peux ajouter encore avec sincérité que je vous ai menti par omission dans l’unique dessein de m’épargner le malheur.

Permettez-moi de corriger l’indignité de mes silences coupables par ma plume la plus honnête. Akira, je gémis de la fatalité qui gorge mon cœur d’angoisse et de chagrin en vous sachant au-delà de la mer si loin de ma personne. Disons mieux que je vous trahis sans cesse dans votre amitié là même où vos lettres emballent mon cœur par des élans du coupable. Si vous convenez que la vengeance est permise et que vous me la devez pour répondre à mon affront, je ne saurai vous en vouloir. Plus encore, si vous en avez le courage, condamnez notre correspondance aux limbes et aux flammes.

Si j’ai encore votre attention dans cette lettre, c’est peut-être que mes révélations vous sont partagées ou que vous allez quérir en ces lignes des raisons de me pardonner ou de m’en blâmer. Pourquoi faudrait-il que ces projets charmants ne soient qu’une chimère de mon imagination ? Ne me mandez pas quand doit finir votre absence cruelle ; je vous verrai quelques fois en quelques lieux lorsque le Ciel nous le permettra. J’ai hâte de trouver en vos regards le souffle divin au soin de mon âme abattue.

Croyez mon amour – ou au moins mon affection épistolaire, ou jetez-les aux loups. A la dernière lune de ce mois, j’attendrai votre réponse. S’il n’en vient pas, alors mes craintes ne furent point que quelques soupçons. J’en prendrai la leçon de mettre fin à nos échanges distants et à n’être plus un correspondant mais un camarade qui vous est étranger. S’il s’en retourne un hibou majestueux, je saurai dès lors que l’espoir m’est accordé par votre consentement ; et je vous ferai parvenir l’entièreté de mes inclinaisons dans nos prochains échanges durant le mois de décembre.

Songez que votre Serviteur s’afflige, et que vos simples mots peuvent lui rendre le bonheur.

Votre Anténor.